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La patrimonialisation des arts de la scène dans des espaces de rencontre en mouvement
Mathieu Feryn  1  , Vincent Lambert  2@  
1 : Laboratoire Culture et Communication
Avignon Université
2 : Siclab Méditerranée
Université Côte d'Azur (UCA) : EA3820

Les dynamiques de patrimonialisation des arts de la scène multiplient les actions de médiation dans des espaces de rencontre hétérogènes, notamment en dehors des musées. Comment cette patrimonialisation s'intègre en société dans ces espaces ? Pour échapper aux écueils de définitions essentialistes de la patrimonialisation, nous endossons des catégories descriptives émanent du terrain, comme le terme « d'archives » employé par les compagnies. Cependant, la patrimonialisation des arts de la scène n'est pas une notion ni une pratique systématique. La collecte des données constitutives d'un patrimoine scénique auprès de différentes communautés implique aussi bien des pratiques domestiques, comme celle de posséder une collection d'affiches à domicile, que des pratiques civiques, comme l'exposition d'objets sociotechniques. Différents acteurs socio-économiques interviennent pour reconnaître le patrimoine des arts de la scène : les créateurs, créatrices et interprètes, les spectateurs et spectatrices, les collectionneurs et collectionneuses privé·es, les sociétés civiles, les maisons d'édition, les industries culturelles et créatives, les collectivités territoriales, les musées et centres de conservation... Le patrimoine des arts de la scène, difficiles à exposer, s'inscrit dans un processus continu de mutations identitaires avec ces différents acteurs en interaction. Aussi, nous observons que des pratiques s'organisent en pour constituer un patrimoine dans l'espace public ou à domicile, plus ou moins en relation avec les institutions. Recueillir et sélectionner ces pratiques et ces objets donne lieu à un corpus restreint d'œuvres. Ici, le patrimoine évoque l'idée d'un nombre limité d'œuvres canoniques, ce qui engage les acteurs de la patrimonialisation à envisager la fabrique du patrimoine et la manière dont elle s'inscrit dans le millefeuille des territoires. Nous nous attachons ici à décrire les lieux où les patrimoines se transforment, comment les patrimoines circulent par et pour les acteurs sociaux, la manière dont sont mobilisés les objets et les dispositifs qui permettent de communiquer sur la patrimonialisation des arts de la scène en société.

 

Suite à notre rencontre dans le cadre de l'élaboration du Gis Créamed, nous avons mis en commun nos corpus provenant d'enquêtes qualitatives menées en région Paca. Il s'agit d'entretiens semi-directifs réalisés à Nice au sein de l'ANR Partita et à Avignon pour une thèse en Sic soutenue en octobre 2018. Les entretiens ont été menés avec les acteurs des arts de la scène : producteurs, diffuseurs et publics. Nous avons poussé nos investigations autour de l'étude du territoire vécu et par l'étude des mobilités. Nous ajoutons à ce corpus une série d'observations participantes dans le cadre de nos activités culturelles et artistiques respectives, présentes et passées : l'accompagnement scientifiquement à la constitution d'un fonds d'archives d'une Salle de musiques actuelles conventionnée (Smac) ; la participation à la vie de collectifs artistiques ; l'immersion dans des sites institutionnels de patrimonialisation. Cette démarche ethnométhodologique rend compte de la manière dont les acteurs participent à la patrimonialisation. Il s'agit de relier ces pratiques communautaires, structurées et structurantes, à des identités dynamiques et provisoires : savoirs, valeurs et croyances. Cette démarche méthodologique réduit le décalage entre les discours et les pratiques. Nous avons notamment participé à des rencontres en dehors des espaces où nous avions décidé de mener nos investigations au préalable.

 

La pratique de la patrimonialisation invite les acteurs à interagir en dehors des lieux institutionnels de conservation et d'exposition. Par exemple, la nécessité de dématérialiser des plans de scène pour éviter de les perdre au cours d'incendies ou d'inondations. Aussi, comprendre la patrimonialisation des arts de la scène suppose d'étendre la recherche avant, pendant et après la rencontre entre les acteurs et de leurs objets. En outre, la carte des pratiques n'est pas représentative du territoire vécu par les acteurs. Ces observations rapprochées mettent en perspective la co-construction du patrimoine et la difficulté de le conserver. Dans la pluralité de ses dispositifs, cette complexe patrimonialisation empêche une définition claire du patrimoine, ce qui entraîne des contraintes pratiques, mais aussi ouvre à la confrontation des idées, aux débats, à un processus de patrimonialisation instable, donc dynamique.

 

Dans quel contexte s'inscrit ce processus communicationnel ? Il se déploie dans un écosystème ouvert, à la fois déployé par les acteurs institutionnels, notamment dans la région Paca par l'intermédiaire des politiques culturelles, et d'actions non institutionnelles dans l'espace public. Du point de vue institutionnel, le principal changement de paradigme s'est déroulé au tournant du xxie siècle, reflété par les législations telles que la loi NOTRe et la loi Musée. Ces dispositifs législatifs prévoient que les publics soient non seulement invités dans le processus de patrimonialisation, mais qu'actifs, ils préexistent à ce système. Ils visent dans ce sens à participer à l'évolution des pratiques institutionnelles. Différents procédés sont à l'œuvre. La logique institutionnelle cherche à encadrer les pratiques sur le territoire, comme par exemple la contribution des musées monégasques de patrimonialiser les costumes et décors de l'opéra de Monte-Carlo. Aussi, lorsqu'on observe les démarches initiées par des musicien·nes pour rendre un hommage à l'un de leurs pairs au cours d'un concert, on considère en premier lieu le salut du travail de création entrepris par leurs aîné·es. Or, en participant à la vie de ces collectifs, on constate que les acteurs négocient du local au global en partageant une série d'informations (partitions, instruments de musique, techniques instrumentales...) pour constituer une série de références culturelles communes en les partageant avec de nouvelles communautés qui participent à ce mouvement de patrimonialisation. Les membres des collectifs engagent des valeurs très différentes au cours des répétitions, avant la diffusion des œuvres avec les responsables des publics, pendant la diffusion avec les publics autour d'eux, ainsi qu'après. Ces observations montrent que ces acteurs et les patrimoines circulent dans des espaces locaux, nationaux, internationaux. Les espaces où ils réalisent leurs pratiques sont diversifiés au cours de leurs vies. Ces activités participent à regarder et échanger des traces et des souvenirs communs, que les critères retenus soient, ou non, ceux choisis par les responsables des espaces d'exposition ou de conservation du patrimoine des arts de la scène.

 

In fine, il s'agit de comprendre « où » la patrimonialisation se débat. La question des critères à l'œuvre permet de percevoir où se cristallisent et où circulent les objets. Ce processus varie d'un contexte énonciatif à un autre, dans un jeu d'acteurs qui s'élabore au sein de différents sous-systèmes en interaction. L'approche info-communicationnelle montre qu'élaborer un patrimoine en société implique de l'interroger sans cesse dans son rapport au temps et à l'espace. Depuis le début des années deux-mille, le développement des dispositifs d'éducation artistique et culturelle participe à développer des écosystèmes où les différents acteurs partagent des pratiques hétérogènes et font cheminer les points de vue au sein de communautés. En termes de prescription, ce qui peut plaire peut déplaire, et les critères en jeu relèvent de la culture, de l'esthétique, des modèles socio-économiques... Ces modes de prescriptions mettent en jeu des écosystèmes de patrimonialisation interdépendants que nous modélisons selon la typologie suivante :

 

  • La patrimonialisation conventionnelle, passant par les circuits balisés des institutions publiques et privé légitimes ;
  • La patrimonialisation participative, perçue comme une circulation forte de tous les acteurs en interrelation avec les objets et les pratiques ;
  • La patrimonialisation de proximité, particulièrement développée dans les arts vivants, qui s'approche du désir de la non-patrimonialisation en marge des institutions.
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    Les témoignages et les observations recueillis montrent que ces vingt dernières années, de nouveaux leviers participent à de nouvelles formes de patrimonialisation des arts de la scène. Par exemple, pendant cette période, une génération de collectionneurs de patrimoine jazzistique s'interroge sur le devenir de leurs fonds. Cette préoccupation génère une grande créativité en termes de mise en valeur et de perspectives inédites d'exposition en l'absence de lieu consacré. Autre exemple, sur la même période, la restriction des budgets alloués au fonctionnement des compagnies de théâtre concomitante à la professionnalisation de nombre d'entre elles, a impliqué une forme d'engagement dans le processus patrimonial, au bénéfice de leur réputation et de leur survie. Au moment des discussions, il conviendra de mettre en comparaison ces situations dans d'autres espaces sociaux où dans une hétérogénéité de pratiques, chaque acteur est susceptible de négocier son rapport aux patrimoines au gré de ses expériences effectuées et à venir.


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